Une grande liberté ?
Une expérience particulière mérite d’être relatée : des prisonniers des Etats-Unis, condamnés à l’incarcération « jusqu’à la mort naturelle », ont eu connaissance des écrits du père Jean-Joseph Lataste, religieux dominicain du XIX° siècle.
Cet homme, assez jeune, fut assigné en 1864 comme aumônier à une prison de femmes, la Maison de force de Cadillac. Après quelque temps, ile eut l’intuition qu’en proposant à ces femmes de vivre leur réclusion non pas comme un temps subi mais comme un temps choisi, il pourrait peut-être les faire accéder à une certaine liberté. Il soutint devant elles le fait que le rythme de la prison (sommeil, travail, silence) était peu différend que celui des religieuses.
Il leur proposa donc de vivre en prison comme des religieuses. Or, lorsqu’elles sortirent, certaines d’entre elles voulurent continuer cette vie là et il eut toutes les peines du monde à trouver une communauté qui les accueillerait au milieu des Sœurs, d’égal à égal. N’en trouvant pas, il fonda les Dominicaines de Béthanie (en 1866) où toute femme, quel que soit son passé, pouvait vivre la vie religieuse.
Un siècle et demi plus tard, des prisonniers de Norfolk (Massachusetts) ont eu connaissance de la vie de cet homme, et ont choisi de faire « profession religieuse » au sein de leur prison. Ils ont été reconnus par l’Ordre dominicain comme fraternité « Notre Dame de la Merci » Leurs conditions ne sont en rien modifiées, et pourtant la possibilité d’avoir posé un acte libre transfigure le temps, qui n’est plus seulement subi mais renouvelé. A l’exil involontaire répond une sorte de nouveau départ, volontaire cette fois.
Ce retournement évoqué à travers les prisonniers de Norfolk est une réappropriation de soi, une re -domiciliation en soi, la possibilité à nouveau de dire « je ». Une expérience de ce type est certes exceptionnelle. Mais elle signe la possibilité de faire surgir un acte libre du cœur même de la contrainte.
Extrait de "La prison, un lieu de soin ?" par Anne Lécu, ed. Les Belles Lettres,2013.